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Rencontre en Combrailles

| | 14/08/2010
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C'est l'époque qui veut ça! chronique rare (et précieuse^^) dénonce un fait d'actualité passé sous silence.

Cette entretien, purement réel, s'est déroulé lundi 9 août 2010. Sa lecture vous permettra (peut-être) de réaliser que nous sommes tous responsables de ce que nous déplorons, où déplorerons à l'avenir. Je ne vous en dis pas plus...  
***
     Je m'approche et jette discrètement un coup d'œil vers l'espace qui mène à la cabine du projectionniste.
<< Vous venez pour le spectacle? On m'avait dit vers 18h. Venez, entrez! >>
     Oui, pour le spectacle. Ah non, je ne fais pas partie de l'association, je suis juste spectateur venu en repérage. Désolé, je ne fais donc pas partie des techniciens que vous attendez.
Mon interlocuteur, un homme, la soixantaine passée, descend les marches à ma rencontre. Son regard s'assombrit.
<< Ah... Ils m'avaient pourtant dit qu'ils viendraient vers 18h... >>
     Il est 19h passée.

<< Tant pis, venez, je vais vous faire voir la salle! >>
     M. L. paraît tout excité, un peu comme les gosses juste avant qu'ils déballent leurs cadeaux de Noël. Il m'apprend qu'il est le gérant de ce cinéma, qui accueille ce soir le spectacle que je convoite: Voice8, 8 talents d'outre-manche qui revisitent a cappella les plus grands morceaux, du jazzy Fever aux cantades de Bach, en passant par Goldeneye, le générique de James Bond. Des voix magnifiques et une certaine auto-dérision plus que charmante. Bref, je m'égare.
     Je passe devant le chariot rempli de pop corn, les grilles horaires de projection des derniers films, fabriquées à partir de copier-coller informatiques un peu maladroits.
     Mon guide m'ouvre la porte de la salle, plutôt impressionnante.
<< Elle a été refaite il y a 15 ans, mais on a repris le style original >>
     C'est à dire une architecture et des ornements des années 50. Avec les sièges moelleux pliants en plus, quoi. Unique en son genre, elle offre mon premier spectacle en quelque sorte. M. L. semble avoir remarqué mon enthousiasme.
 << Et c'est pas tout! On est équipé du dernier cri en matière de son et on s'apprête à accueillir la 3D!, me lance-t-il, pas peu fier. On a une très bonne qualité! >>
     Je souris. Des étincelles brillent dans ses yeux. Enfin, il me semble. Pourtant, j'aimerais lui poser une question qui risque de le ramener brutalement à la réalité.
<< Mais aujourd'hui, vous arrivez à survivre en tant que petit cinéma du village?
    M. L. baisse la tête. Il m'a parfaitement compris.

<< Vous savez, moi, je suis bénévole... Sinon ce cinéma ne pourrait plus exister. J'arrive à moderniser avec ce qu'on peut déduire des coûts, comme une partie de la taxe sur les billets vendus, afin d'acheter de nouveaux équipements. >>
     Nous ressortons.
<< Si le cinéma survit, c'est uniquement grâce à lui-même. Même si les bâtiments appartiennent à l'usine, jamais elle ne l'a aidé!>>
     L'usine sidérurgique, non loin de là, principal employeur du village de 1800 âmes.
<< Enfin, c'est sûr qu'avec le complexe qu'ils veulent construire à Riom, si ça se fait...
- C'est à combien de kilomètres?
- Une trentaine. Mais s'il se construit, ce sera la fin, c'est sûr. C'est déjà dur alors... on fermera.  >>
     Je ne sais trop quoi dire. Il tient à me montrer la cabine du projectionniste. Je gravis à sa suite les quelques marches par lesquelles il était venu à ma rencontre. Quelques toiles d'araignées sur les murs et j'entre dans le repaire du passionné. Deux ou trois affiches de films, dont un un peu "chaud", des bobines soigneusement rangées...
<< Ma femme, c'est sûr, elle aimerait que je sois un peu moins là, me chuchote-il avant d'esquisser un léger sourire. - Vous projetez tous les jours de la semaine? - Sauf le mardi >>
     Pendant qu'il me parle et m'explique le fonctionnement des machines, il en actionne d'autres, qui tournent, vrombissent, s'agitent. Je reste silencieux, un brin admiratif.
<< Là, ça va, me dit-il tout en rembobinant La vie sauvage des animaux domestiques, fraichement projeté. Mais certains fournisseurs de films ne sont pas assez rigoureux, peste-il. Ils mettent la bobine n°5 dans l'emplacement n°2, alors il faut tout visionner scrupuleusement! >>
    Nous redescendons les marches, de retour sur l'esplanade devant l'entrée.
 << On a une avant-première ces jours-ci, ça devrait attirer du monde!
Comprendre que pour une fois, la salle de 300 places pourrait n'être qu'à moitié vide.
- Oui! Les jeunes viendront, non? - Peut-être... (Silence)...mais maintenant, quand ils viennent au cinéma, c'est simplement pour pouvoir s'acheter du pop corn, pas pour les films... - Ils viennent quand même, c'est le principal pour vous. - Oui... Mais vous voyez, je préfèrerais qu'ils viennent au cinéma pour voir des films... Il n'y a plus cette envie, cette excitation chez les jeunes d'aller au cinéma... c'est dommage... >> 
     Je le remercie chaleureusement et prend congé, laissent ce vieux bonhomme attachant dans sa rêverie. Triste et réaliste, je revois également cette étincelle dans ses yeux lorsqu'il évoque son passe temps, sa fierté. En y repensant, peut-être cette passion permettra de sauver le petit cinéma des Ansizes!


     Je tourne les talons au bâtiment, longe la voie ferrée. Les rails sont envahis d'arbustes et recouverts d'herbes en tous genres. Les panneaux bleus annonçant les quais contrastent avec la verdure environnante. La gare est juste là, à quelques dizaines de mètres.
    Pourtant, pas un bruit, pas une âme. On n'entend plus les trains aux Ansizes. La gare a fermée le 9 décembre 2007, faute d'usagers.

2 commentaires / Kion vi pensas pri tiu artikolo ? :

Jojo a dit…

Ta chronique est plus rare que précieuse, l'inverse de la mienne et encore je suis modeste

Dameg a dit…

@ Jojo
Ah ouai? tu oublies que tous les lecteurs viennent sur CDM pour mes chroniques!
Ils me le disent tous.
^^

 

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