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29/09/2013
A chaque affaire judiciaire qui secoue la France, on assiste systématiquement au même défoulement de haine de citoyens qui, indignés, à tort ou à raison, semblent croire que leur jugement souvent hâtif peut se substituer à la justice de manière tout à fait légitime. L'affaire du meurtre de Fiona ne déroge pas à la règle en soulevant des vagues d'indignation, dont Internet reste le meilleur catalyseur, en vertu de l'anonymat généralisé sous lequel chacun peut exprimer son opinion, plus ou moins réfléchie, à tous.
Il n'est pas ici question de parler du crime en lui même perpétré par les présumés coupables. Ce qui nous intéresse concerne la manière dont les citoyens réagissent lorsqu'une affaire judiciaire est reprise et amplifiée par les
media, au point de devenir un sujet de débat national et de faire remonter les mêmes vieilles polémiques.
Que constate-on ?
Une affaire du type de celle que nous
vivons en ce moment provoque de multiples réactions. Nous la
vivons, ou plutôt nous
croyons la vivre, car nous sommes informés quasiment en temps réel des nouvelles avancées de l'enquête ce qui nous donne le sentiment d'être à part entière dans l'action. Ainsi, à chaque nouvelle annonce, une partie des citoyens s'exprime, notamment en grossissant le nombre de commentaires de bas de page des sites d'information.
Dans ce cas comme dans d'autres, lorsque la nouvelle est particulièrement simple à commenter (on ne peut raisonnablement penser ce que le sens commun nous inspire par exemple), l'aboutissement n'est plus le stade du commentaire, mais à la limite de la prise de décision, de l'engagement, ce qui traduit un niveau supplémentaire d'intervention dans le débat. Je ne regarde pas le débat de loin en donnant mon avis lorsque celui-ci est terminé, mais je prends clairement parti et donne de la voix pour intervenir.
On pourrait s'en réjouir, car on tend finalement par ce processus à se rapprocher d'un semblant de démocratie active où chaque citoyen donnerait un avis réfléchi sur une question d'ordre politique, sociale ou économique.
Le problème est qu'aujourd'hui, ce processus s'inscrit dans une enquête judiciaire relayée par les
media. Le déferlement de haine se reflète à travers la création de pages Facebook (par exemple) ou une minorité de citoyens, quoique grandissante, prône un retour à la peine de mort pour les présumés coupables.
Ce phénomène est malheureux par plusieurs aspects. Il nous illustre une fois encore que le citoyen n'est, dans les faits, pas capable de raisonner dans ce genre de cas, mais reste prisonnier de ses pulsions loin d'être rationnelles. Son jugement est dicté par le sens commun et guidé par la haine qu'il ne ressent pas forcément lui-même, mais suffisamment répandue par ses semblables pour qu'il y adhère par nécessité sociale. L'opinion publique, accrétion des discours de ceux qui crient le plus fort, prône la ré-instauration de la peine de mort, au demeurant illégale pour un couple qu'ils déclarent coupable sans autre forme de procès. Cette question nous renvoie d'ailleurs de manière évidente à la pertinence et la légitimité des jurés populaires.
La dimension d'une telle réaction est multiple. L'acte en lui-même tel qu'il est décrit choque, heurte, bouleverse. L'action supposée renvoie à un monde qui nous est totalement étranger et nous repousse totalement. Ainsi l'individu passionnel ne donne pas une réponse rationnelle mais rejette ce monde qui lui est totalement opposé. Nombre de réactions ne s'attardent pas sur la juste peine mais sur le caractère "non-humain" d'un tel acte, suggérant que les droits de l'Homme du monde actuel ne peuvent s'y appliquer, devant l'horreur évidente. La peine de mort a certes l'avantage non-négligeable de se voiler la face en noyant les individus dans un sentiment de purification. L'individu alors jugé ne reste pas dans notre monde tel que nous le concevons et possiblement susceptible de s'intégrer à nouveau dans la société mais y est, de facto, éliminé, ce qui nous assure que "le monde a été débarrassé d'un fruit pourri". (J'interprète très librement, mais je crois qu'il sera dur de montrer que le sens commun est très éloigné de cette réalité perçue par nombre d'individus). Ce sentiment, ou plutôt cette envie d'écarter définitivement l'individu de notre conception du monde est renforcée par la menace sécuritaire agitée depuis quelques années et notamment le spectre de la récidive.
Ce qui est ensuite malheureux, c'est bien que la conception du monde y est sans doute très éloignée de la réalité. Être ou non pour la peine de mort, c'est concevoir le monde de façon différente. Dans le premier cas, c'est penser qu'un nombre fini de personne devra être éliminé de la terre car ils sont mauvais de nature, et que ceux qui seraient tenter de passer à l'acte seraient découragés. La seconde conception met plus l'accent sur le caractère instantané et irréfléchi de l'acte, où chacun de nous serait possiblement un bourreau en sommeil selon la situation, rendant la peine de mort totalement inefficace.
Vouloir la peine de mort n'est pas une question d'indulgence ou non. C'est une question qui relève à vrai dire sans doute plus de la science que du sens commun dans le sens où l'enjeu est de déterminer si la personne à agit en son âme et conscience ou totalement à l'opposé de ses valeurs. Il existe une justice pour assurer aux individus une défense impartiale, pour qu'un jugement ne se transforme pas en pugilat primaire à qui punira le mieux (ou le plus!).
L'action de ces citoyens n'est rien d'autre qu'un aveuglement de haine par lequel ils méprisent l'idée même de justice au prétexte de la rendre mieux que quiconque. La justice du sens commun n'est rien d'autre qu'une loi du Talion bestiale et irréfléchie. Accuser la Justice d'être trop douce ou trop dure en se basant sur l'opinion finement distillée par les
media n'est qu'une insulte à la mémoire de ceux qui subissent les crimes. Ceux-ci méritent qu'un juste châtiment soit donné, non que la Justice s'agenouille devant les désirs haineux d'une minorité de citoyens dont la conception du monde est restreinte à un imaginaire dénué de toute réalité.